Condamnation de Google à supprimer la fiche Google my business d’un professionnel de santé.

Le droit des données personnelles vs le droit à l’information

Une décision de fond, assez inhabituelle, a retenu notre attention à propos du thème bien connu des fiches de professionnels du service Google My Business comportant des avis d’internautes sur leur activité.

Le 15 septembre 2022, le Tribunal judiciaire de Chambéry, au terme d’une longue motivation, condamne les sociétés Google à supprimer la fiche Google My Business d’une dentiste et à lui verser des dommages et intérêts au titre de divers manquements au RGPD (Tribunal Judiciaire de Chambéry 15 septembre 2022, n°19/01427).

L’espèce est classique : une dentiste découvre l’existence d’une fiche professionnelle la concernant faisant apparaître son nom et ses coordonnées professionnelles, et des avis et notation liés à son activité professionnelle postés par des internautes. Elle assigne les sociétés Google pour obtenir la suppression de sa fiche sur le fondement de l’atteinte à ses données personnelles, en leur qualité de responsable du traitement.

Parmi les nombreuses questions examinées par le Tribunal concernant la licéité du traitement des données personnelles, la partie qui nous intéresse est naturellement celle consacrée à la publication d’avis négatifs et à la balance des intérêts au regard de l’article 6 §1 f) du RGPD, entre l’intérêt du professionnel visé par la fiche, le droit à l’information des consommateurs et les intérêts de Google.

L’article 6 §1 f) du RGPD prévoit qu’un traitement de données personnelles n’a pas à être consenti s’il poursuit un intérêt légitime.

Précédemment saisi, le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris, par une ordonnance du 12 avril 2019, avait donné gain de cause aux sociétés Google considérant, dans le droit fil d’une tendance majoritaire, que la publication d’avis est soumise au principe de la liberté d’expression, le professionnel pouvant poursuivre l’avis qui en aurait dépassé les limites admissibles, et que la finalité commerciale poursuivie par Google ne serait pas démontrée.

C’est précisément cette dernière question que le Tribunal de Chambéry se pose.

Après avoir constaté que la professionnelle n’avait pas consenti au traitement de ses données personnelles, le Tribunal considère que la fiche Google n’a pas seulement une finalité informationnelle, mais sert aussi une finalité commerciale.

« Si la diffusion de la seule fiche du professionnel poursuit en effet un caractère informatif, la diffusion combinée de la fiche et des avis constitue le moyen pour les société Google d’inciter fortement les professionnels à recourir à ses services, qu’ils soient gratuits ou payants. C’est dès lors de mauvaise foi que les défenderesses prétendent que le traitement réalisé dans le cadre de la publication de la fiche entreprise est décorrélé des actes de prospection commerciale auxquels elles se livrent.

 Il doit donc être jugé que ce traitement de données a une finalité commerciale cachée. »

Dans la balance des intérêts, le Tribunal s’interroge aussi sur le point de savoir si le devoir d’information est correctement rempli par les sociétés GOOGLE, et pose la problématique suivante :

« Pour que le droit à l’information ne contrevienne pas aux droits de la personne qui en est l’objet, il faut a minima que la source d’information soit fiable dans le sens où il doit être possible de vérifier que l’information qu’elle donne est le fruit de son expérience. Il faut également que la source soit identifiable. »

Le Tribunal de Chambéry répond par la négative : « le système mis en place par Google ne permet pas d’avoir une information fiable et vérifiable ».

Dans la balance des intérêts, le Tribunal s’intéresse encore à l’expression en ligne des professionnels de santé qui sont limités par le secret médical et en déduit qu’« il existe un déséquilibre patent entre le professionnel et l’internaute , dans la mesure où les professionnels de santé sont bien souvent limités par le respect du droit médical qui ne leur permet pas d’étaler publiquement sur internet le choix des traitements qu’ils ont mis en œuvre » soulignant que « l’incidence pour le professionnel concerné peut être importante ».

Ainsi, pour le Tribunal, l’équilibre des intérêts en cause n’est pas atteint.

« Les sociétés Google n’ont pas procédé à une pondération entre leur intérêt légitime de participer à l’information et les droits et intérêts des personnes dont les données sont traitées et qu’elles ne veillent pas à l’adoption de garanties supplémentaires ou autres mesures additionnelles afin d’atteindre ainsi un équilibre entre les droits et intérêts en cause. »

En conclusion, le Tribunal juge que les sociétés Google ne justifient pas d’un intérêt légitime leur permettant de passer outre le consentement de la personne à voir publiées ses données personnelles et des avis accolés à ses données personnelles.

Les sociétés Google ayant par ailleurs manqué à leur obligation de collecte loyale, licite et transparente des données de la professionnelle visée, le Tribunal les condamne à supprimer la fiche GMB.

Cette décision, qui prend le contrepied d’une jurisprudence majoritaire rendue au nom de la liberté d’expression, illustre l’avancée hégémonique du droit des données personnelles sur le droit du public à l’information dans le monde numérique, sur un sujet pourtant d’intérêt majeur, la santé et la recherche d’un bon professionnel de santé.

La régulation du droit à l’information en fonction du consentement de la personne et des finalités commerciales du responsable du traitement des données pose ainsi question.

Cependant, cette décision a le mérite de soulever les enjeux très concrets des fiches GMB, tant du point de vue du responsable de traitement, que du professionnel n’ayant pas consenti à ces fiches, dont les incidences peuvent être très préjudiciables, que de celui des internautes, enjeux spécifiques qui ne relèvent pas d’une balance d’intérêts classique.

Enfin, la problématique des fiches GMB des professionnels de santé, qui n’exercent pas une activité commerciale, est une situation très particulière que le Tribunal de Chambéry a prise en compte.

Il est vrai qu’un professionnel de santé, qui relève d’une profession réglementée, est astreint à des règles de communication contraignantes comme celles de s’abstenir de publicité ou de ne pas révéler d’informations couvertes par le secret médical.

Ainsi, sur le plan de la communication et des possibilités de réponse du professionnel de santé, sa situation diffère profondément de celui qui exerce une profession commerciale, ce qui pourrait expliquer la position prise par cette juridiction.

Ce sujet n’a donc pas fini d’être débattu, un appel étant au demeurant en cours.

Clara Massis de Solere

Avocat à la Cour

Membre du conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)

 

 

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