Reconquête du discours de haine et liberté d’expression – la défaite d’Éric Zemmour devant la Cour européenne des droits de l’Homme

L’arrêt Zemmour contre France rendu le 20 décembre 2022 s’avère par son approche particulièrement classique mais quelques enseignements peuvent en être tirés.

La juridiction européenne avait, en effet, été saisie par le prédicateur d’extrême-droite devenu candidat nationaliste à la dernière présidentielle, dans le prolongement d’une condamnation pour « provocation à la discrimination et à la haine religieuse » retenue sur le fondement de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881, par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 3 mai 2018 et confirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2019.

Dans cet arrêt, la Chambre criminelle a ainsi jugé que les propos tenus par Monsieur Eric Zemmour lors de son passage dans l’émission « C à vous », le 16 septembre 2016, relevait « d’un appel au rejet et à la discrimination des musulmans en tant que tels, l’ensemble du discours du prévenu étant axé sur l’idée que tous ne peuvent, par vocation religieuse, même lorsqu’ils ne sont pas violents, qu’être adeptes du jihad, sans se désolidariser de ceux qui se livrent à la violence au nom de leur foi ». Au surplus, la Haute juridiction retenait que « les propos incriminés, qui désignaient tous les musulmans se trouvant en France comme des envahisseurs et leur intimaient l’obligation de renoncer à leur religion ou de quitter le territoire de la République contenaient un appel à la discrimination ».

Saisi par requête du 5 décembre 2019, la CEDH se devait donc d’examiner si cette condamnation à l’aune de la protection offerte par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) était ou non une atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par la Convention.

Tout d’abord, sur le terrain de la recevabilité, la juridiction conventionnelle a jugé que les propos de Monsieur Zemmour « ne suffisent pas, quels que controversés et choquant qu’ils puissent être, à révéler de manière immédiatement évidente que ce dernier tendait, en les proférant, à la destruction des droits et des libertés consacrés dans la convention » et que dès lors « la présente requête ne constitue pas un abus de droit aux fins de l’article 17 de la Convention et qu’elle n’est pas incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 de la Convention ».

Ensuite, sur le fond, l’analyse s’est attachée à examiner si la condamnation de ce débordement haineux constituait une ingérence de l’exercice du droit à la liberté d’expression, laquelle peut être justifiée dès lors qu’elle est « prévue par la loi, dirigée vers un ou plusieurs buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire » dans une société démocratique pour les atteindre ».

La CEDH a jugé qu’en l’espèce les trois critères étaient réunis puisque :

  • La jurisprudence interne permettait, en effet, au visa de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881, de « sanctionner le délit de provocation caractérisé en raison du caractère implicite de l’appel à la discrimination» et que « l’énoncé de l’article 24 alinéa 7 comme la jurisprudence de la Cour de cassation pouvait raisonnablement permettre au requérant de prévoir que ses propos étaient susceptibles d’engager sa responsabilité pénale » ;

 

  • La condamnation de Monsieur Zemmour « avait pour but la protection de la réputation des personnes de confession musulmane » ce qui remplissait le critère du but légitime ;

 

  • Et qu’enfin, « le recours à des termes agressifs exprimés sans nuance pour dénoncer une colonisation de la France par les musulmans avait des visées discriminatoires et non pour seul but de partager avec le public une opinion relative à la montée du fondamentalisme religieux» visant « à nuire à la cohésion sociale » ce qui soulignait la nécessité d’une telle condamnation.

 

Compte tenu de la réunion de ces trois critères, les juges de Strasbourg ont écarté l’existence d’une violation de l’article 10 de la Convention.

En conclusion, il est intéressant de relever que « la Cour rappelle à cet égard l’immédiateté et la puissance des médias de télédiffusion, dont l’impact est renforcé par le fait qu’ils restent des sources familières de divertissement nichées au cœur de l’intimité des foyers (Radio France etautres c. France, n°53984/00, §39, CEDH 2004-II) » ce qui devait donc inciter Monsieur Zemmour à ne pas manquer « aux devoirs et responsabilités d’un journaliste ».

Cet arrêt semble être, toutefois, une victoire à la Pyrrhus en ce que le droit échoue à freiner la diffusion du discours de haine et par ricochet le passage à l’acte raciste. Se pose aujourd’hui, au-delà de la particulière légèreté des condamnations de leurs auteurs, une question de responsabilité desmédias, ouvrant leur antenne à des prédicateurs déjà condamnés pour incitation à la haine, tant ils leur offrent une caisse de résonnance pour la diffusion de propos nauséabonds et séparatistes. Ce rôle est d’autant plus fort qu’ils sont en mesure d’inoculer, via la télévision et les réseaux sociaux, cette tumeur démocratique « au cœur de l’intimité des foyers ».

Il y a donc urgence à repenser l’efficacité du système juridique car à trop vouloir se reposer sur cette digue, il est à craindre qu’elle se brise et avec elle, s’abime notre société démocratique.

Pierre-Eugène BURGHARDT
Avocat au barreau de Paris
Membre du Conseil scientifique AAPDP

 

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