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Devoirs du journaliste : rapporter des faits exacts et dignes de crédit (Crim. 13 novembre 2024, n°23-81.810 et Crim. 25 juin 2024, n°23-81.808)

Nature morte avec des instruments d’écriture, XVIIIe siècle, Christoforo Munari, Musée Pouchkine de Moscou 

Par arrêt du 13 novembre 2024[1], la chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré une décision de la cour d’appel de Paris qui avait considéré, par motifs propres et adoptés, que les approximations contenues dans un article du magazine « Causeur » mettant en cause le réalisateur Ladj LY n’étaient pas de nature à exclure le journaliste du bénéfice de la bonne foi, puisque, non juriste, il pouvait confondre complicité de tentative de meurtre avec séquestration, et il pouvait également imputer à l’intéressé la commission de faits de violences , faits pourtant non visés dans le jugement servant de base factuelle aux allégations litigieuses.

 

La Cour rappelle que « les prévenus, qui devaient procéder à une enquête sérieuse en leur qualité de professionnels de l’information, ne disposaient d’aucune base factuelle pour affirmer à trois reprises, dans l’article litigieux, que la partie civile avait été condamnée pour complicité de tentative de meurtre, faits criminels relevant de la cour d’assises, faute pour les décisions susvisées de l’évoquer de quelque manière que ce soit ».

 

Au-delà des deux premiers moyens de cassation critiquant l’excuse de bonne foi accordée, à tort, à l’auteur des propos, le troisième moyen de cassation est également accueilli par la Cour de cassation. Il porte quant à lui sur la caractérisation même de la diffamation. Le caractère diffamatoire avait été dénié à une partie des propos, imputant pourtant à l’intéressé d’avoir, par la commission des infractions évoquées, appliqué la charia en France. La 17ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris, suivie par la Cour d’appel, avaient considéré que ces propos « ne [faisaient] que contextualiser et commenter les faits principaux, sans y ajouter ».

 

La cassation est prononcée au visa des articles 29 et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

 

« En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés dès lors que les propos poursuivis, qui imputent à l’intéressé d’avoir commis les faits pour lesquels il a été condamné, en application des règles de la charia, loi islamique, sont précis et de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération » et que « cette imputation est faite à la partie civile à raison de son appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane ». 

 

A noter que cette décision fait suite à une précédente cassation, intervenue par arrêt du 25 juin 2024[2], à l’encontre du magazine « Valeurs Actuelles », rappelant, dans les mêmes termes, que le journaliste « devait procéder à une enquête sérieuse ».

 

Ces deux décisions s’inscrivent dans le droit fil des exigences de la CEDH, soucieuse de la fiabilité de l’information : « En raison des devoirs et responsabilités inhérents à l’exercice de la liberté d’expression, la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique » (CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz c/ France).

 

« L’’article 10 a d’abord vocation à protéger la presse elle-même, en ce qu’elle a de spécifique et de fondamental dans un État démocratique : apporter aux citoyens des informations fiables et vérifiées » (B. Ader, « L’éthique de la presse, meilleure garantie de sa liberté selon la Cour européenne », Legipresse[3])

 

Henri Leclerc, dans un article publié en 2013, assimilait la bonne foi à l’honnêteté intellectuelle[4] :

 

« C’est ce que depuis longtemps j’appelle « l’honnêteté intellectuelle » qui doit permettre de jauger la bonne foi du journaliste au-delà de la preuve des faits diffamatoires, parfois difficile à faire. C’est là la moindre des vertus que l’on est en droit d’exiger de ceux qui ont entre les mains le droit si « précieux » de la liberté de l’information dans une société démocratique ».

 

Marie CORNANGUER

Avocat au barreau de Paris

Membre du Conseil scientifique AAPDP

L’AAPDP regroupe des avocats de sensibilités diverses. Les actualités publiées sur le site et signées d’un membre de l’association n’engagent que leurs signataires et ne traduisent en aucune façon la position de l’association elle-même ou de l’un de ses organes.

 

[1] https://www.courdecassation.fr/decision/67344eabc4c14c75434b74b9.

[2] https://jurisprudence.lefebvre-dalloz.fr/jp/cour-cassation-chambre-criminelle-2024-06-25-n-23-81808_g1d2f333e-b451-4fc5-bbd1-d7204089e793.

[3]https://legipresse.com/pdfs/47718-L-ethique-de-la-presse-meilleure-garantie-de-sa-liberte-selon-la-Cour-europeenne.pdf?dl

[4] https://shs.cairn.info/revue-legicom-2013-2-page-7?lang=fr

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