Par arrêt du 20 décembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme, à l’unanimité, a estimé que la condamnation pénale de M. Eric Zemmour pour provocation à la discrimination et à la haine religieuse envers la communauté musulmane française n’emportait pas violation de l’article 10 de la Convention.
Le contexte :
Les propos litigieux ont été tenus par M. Eric Zemmour en 2016, dans l’émission « C à vous », diffusée en direct, à 19h, sur la chaîne France 5. Les propos du requérant ont été tenus en qualité de journaliste, de polémiste – et d’auteur – puisque dans le cadre de la promotion de son livre intitulé « Un quinquennat pour rien ».
Le contexte politique national était très tendu puisque fortement marqué par les menaces et les actes terroristes inédits revendiqués par l’organisation terroriste « État islamique » (les attentats perpétrés à Paris en janvier et novembre 2015, puis à Nice et dans l’église Saint-Étienne-du-Rouvray en juillet 2016).
Plus précisément, les propos incriminés se rapportaient à l’introduction du livre de M. Eric Zemmour, intitulée « La France au défi de l’Islam », et donnèrent lieu à une citation directe, à l’initiative de l’association Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient (CAPJPO), sur le fondement des dispositions de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Les faits et la procédure à l’origine de la requête :
Par arrêt du 3 mai 2018, la cour d’appel de Paris condamna M. Eric Zemmour pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une religion à une peine d’amende de 3.000 euros, à raison de 2 des 5 passages poursuivis.
Seuls les passages 4 et 5 donnèrent lieu à une déclaration de culpabilité. Ils étaient ainsi articulés :
Les juges du fond avaient estimé que « les musulmans étaient visés dans leur globalité » et que les propos incriminés, « compris ensemble », « contenaient une exhortation implicite à la discrimination », en ce que :
Par arrêt du 17 septembre 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant, estimant que la Cour d’appel, aux termes de son analyse, « avait exactement retenu que, par leur sens et leur portée, les propos incriminés, qui désignaient tous les musulmans se trouvant en France comme des envahisseurs et leur intimaient l’obligation de renoncer à leur religion ou de quitter le territoire de la République, contenaient un appel à la discrimination (…) »
L’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement français, sur le fondement de l’article 17 de la Convention, écartée
Le Gouvernement français a tenté de se placer sur le terrain de l’article 17 de la Convention[1] (interdiction de l’abus de droit) en arguant du fait que les propos de M. Eric Zemmour constituaient une prise de position haineuse caractérisée et ne pouvaient, dès lors, relever de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention.
En vertu de la jurisprudence européenne, rendue sur le fondement de l’article 17 de la Convention, aucun individu ou groupement ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés, garantis par la Convention.
La Cour n’a pas suivi cet argument et a estimé que :
Les arguments présentés au soutien de la requête, rejetés
Selon le requérant, la Cour de cassation aurait opéré un revirement de jurisprudence en jugeant coupable une exhortation implicite à la discrimination et le caractère implicite de l’incitation rendrait superflue la condition principale du délit, à savoir la provocation, et constituerait une interprétation extensive de la loi pénale.
La Cour européenne a quant à elle estimé que « dans les circonstances de l’espèce, tant l’énoncé de l’article 24 alinéa 7, que la jurisprudence de la Cour de cassation, pouvaient raisonnablement permettre au requérant de prévoir que ses propos étaient susceptibles d’engager sa responsabilité pénale », notamment car :
La Cour précise in fine que « le caractère implicite de la provocation retenu par les juridictions internes et dénoncé par le requérant » « se rattache, [selon elle, au cas présent], « à la pertinence et à la suffisance des motifs retenus par les juridictions internes pour justifier l’ingérence litigieuse dans son droit à la liberté d’expression et sera en conséquence examinée dans le cadre de l’appréciation de la « nécessité » de celle-ci ».
En substance, M. Eric Zemmour soutenait que :
S’agissant du but légitime, la Cour considère, que la condamnation du requérant pour provocation à la discrimination avait pour but la protection de la réputation ou des droits d’autrui, en l’espèce ceux des personnes de confession musulmane (CEDH 28 février 2017, Le Pen c/ France, n°45416/16, § 29).
S’agissant de la nécessité de l’ingérence, la Cour rappelle en premier lieu que les propos se rapportant à des questions d’intérêt public appellent une forte protection, au contraire de ceux défendant ou justifiant la violence, la haine, la xénophobie ou toute autre forme d’intolérance, qui ne sont normalement pas protégés (§49).
Elle rappelle ensuite que l’appréciation de la nécessité de l’ingérence « tient éminemment compte du contexte » et doit se fonder sur une série de trois facteurs, résumés dans l’affaire Perinçek c/ Suisse (§§ 205-208), de sorte qu’il y a lieu d’analyser, conjointement (§52) :
La Cour a estimé à l’unanimité que la condamnation de M. Eric Zemmour par les juridictions françaises n’emportait pas violation de l’article 10 de la Convention, aux motifs suivants :
Marie CORNANGUER
Avocat au barreau de Paris
Membre du conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)
Lien ci-dessous vers l’arrêt :
➡ https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-221837%22]}
N.B. : Cet arrêt n’est pas définitif et peut faire l’objet d’un renvoi en Grande Chambre.
Lien ci-dessous vers le précédent CEDH, 15 octobre 2015, Perinçek c/Suisse, n°27510/08 (§§78 et 79)
➡ https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-158216%22]}
Lien ci-dessous vers le précédent la définition du « discours de haine » issue de la Recommandation n°R (97) 20 du Comité des Ministres
➡ https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168050116d
[1] « Aucune des dispositions de la (…) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la (…) Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à [la] Convention. »
[2] « Et attendu que cette question ne présente pas à l’évidence un caractère sérieux dès lors que, d’une part, les termes de l’article 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, qui laissent au juge le soin de qualifier des comportements que le législateur ne peut énumérer a priori de façon exhaustive, sont suffisamment clairs et précis pour que l’interprétation de ce texte, qui entre dans l’office du juge pénal, puisse se faire sans risque d’arbitraire, et que, d’autre part, l’atteinte portée à la liberté d’expression par une telle incrimination apparaît nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de lutte contre le racisme et de protection de l’ordre public poursuivi par le législateur ».
L’AAPDP regroupe des avocats de sensibilités diverses. Les actualités publiées sur le site et signées d’un membre de l’association n’engagent que leurs signataires et ne traduisent en aucune façon la position de l’association elle-même ou de l’un de ses organes.