Du droit à la vie au droit à la vie privée : retour sur la décision « Mortier contre Belgique » (Cour Européenne des Droits de l’Homme, 4 octobre 2022)

CEDH A et B c. Norvège, 15.11.2016 – Julien Martin Avocat

Le requérant, Tom Mortier est de nationalité belge. Sa mère, dont il n’était plus très proche depuis un certain temps, souffrait d’une dépression chronique depuis quarante ans.

La loi belge du 28 mai 2002 autorise l’euthanasie sous des conditions strictes et pour « souffrance physique ou psychique insupportable » à caractère « incurable ».

En septembre 2011, ne supportant plus sa vie, la mère du requérant consulta un Professeur de médecine bruxellois, également président de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (CFCEE) à qui elle fit part de son intention de mettre fin à ses jours en ayant recours à l’euthanasie conformément légale.

A sa demande spécifique, il devint son médecin traitant et l’accompagna dans ses démarches en mettant en œuvre la procédure légale.

D’autres médecins furent cependant impliqués dans la procédure et tous conseillèrent à la mère de Monsieur Mortier d’informer ses deux enfants de son souhait de mettre fin à sa vie.

C’est ce qu’elle finit par faire en envoyant des courriels à son fils et à sa fille en janvier 2012.

Sa fille lui aurait répondu qu’elle respectait sa volonté mais son fils garda le silence. Elle leur écrivit à tous deux une lettre d’adieu le 3 avril 2012. L’euthanasie eut lieu le 19 avril 2012, la mère du requérant était entourée de quelques amis. C’est le Professeur de médecine devenu son médecin traitant qui officia.

Monsieur Mortier fut ensuite Informé par l’hôpital du décès de sa mère. Il écrivit alors au Professeur de médecine pour lui signifier qu’il avait été privé de la possibilité de faire ses adieux à sa mère et qu’il vivait un « deuil pathologique ».

Après avoir mandaté un médecin pour vérifier le dossier médical de sa mère, Monsieur Mortier déposa plainte contre devant l’ordre des médecins en février 2014, spécifiquement pour demander des comptes au Professeur de médecine.

Le résultat de l’enquête ordinale ne lui étant pas communiquée, Monsieur Mortier décida alors d’agir au pénal contre X au sujet de l’euthanasie de sa mère.

La clôture de l’instruction judiciaire intervenait en décembre 2020, sans que le parquet ne relève rien de répréhensible.

Ayant épuisé les recours internes, Monsieur Mortier a alors saisi la Cour Européenne. Il alléguait d’une part que l’État aurait manqué à ses obligations de protéger la vie de sa mère (article 2 de la Convention : droit à la vie) parce que la procédure relative à l’euthanasie n’aurait pas été respectée et il invoquait également l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale) considérant qu’en manquant de protéger de manière effective la vie de sa mère, l’État aurait violé cette disposition.

S’agissant de l’article 2 protégeant le droit à la vie, la Cour précise que cette affaire ne porte pas sur l’existence ou non d’un droit à l’euthanasie. En revanche, cette affaire regarde la compatibilité avec la Convention de l’euthanasie telle que pratiquée à l’égard de la mère du requérant.

La Cour considère que la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique est soumise à des conditions strictement réglementées par la loi qui prévoit un large nombre de garanties matérielles et procédurales.

La loi belge impose un certain nombre d’actes préalables à l’euthanasie permettant de vérifier que la volonté d’un individu d’en finir avec une vie devenue trop pesante a été prise de manière totalement éclairée.

Pour la Cour européenne, l’État belge n’a donc pas instauré un cadre législatif contrevenant à l’article 2 protégeant le droit à la vie des patients, il n’y a donc pas de violation.

S’agissant du droit à la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention, la Cour note que la loi belge fait obligation aux médecins de s’entretenir de la demande d’euthanasie d’un patient avec ses proches que lorsqu’il s’agit du souhait intime du patient concerné.

Dans le cas contraire, les médecins ne peuvent en aucun cas contacter les proches du patient. Cela découle de leur devoir de confidentialité et de protection du secret médical.

Dans cette affaire sensible, les médecins impliqués dans la procédure ont à plusieurs reprises invité la mère du requérant à prendre contact avec ses enfants pour leur faire part de sa volonté. D’abord opposée à cette idée, elle a finalement accepté de leur écrire. La Cour estime que les médecins de la mère du requérant ont fait leur possible dans une mesure raisonnable, tout en respectant leur devoir de confidentialité, pour que l’intéressée informe ses enfants. Par conséquent, pour la Cour, la législation belge a ménagé un juste équilibre entre les intérêts en balance. L’État belge n’a donc pas violé l’article 8 de la Convention.

Il est intéressant de relever que pour la Cour européenne estime que « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée »[1].

Il n’y a dans cette décision aucune contradiction avec l’esprit de la Convention européenne, la Cour énonçant encore que « la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention »[2].

[1] Déjà reconnu dans l’arrêt Haas c. Suisse, 20 janvier 2011

[2] Considérant n°137

 

Alexandre BLONDIEAU

Avocat à la Cour

Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)

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