Génocide rwandais : la Cour d’appel de Paris confirme que Natacha Polony n’a pas contesté le génocide des Tutsis

François Flameng, Lex Imperat, plafond la Cour d’appel de Paris, Pôle 2, chambre 7

Dans un arrêt rendu le 11 mai 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé la relaxe prononcée en première instance en faveur de Natacha Polony pour des propos relatifs au génocide rwandais.

Si la loi Gayssot de 1990, incriminant le négationnisme de la Shoah, a pu donner lieu à d’importantes jurisprudences, c’est la première fois que la Cour d’appel de Paris avait à se prononcer sur l’infraction de contestation des autres génocides, à l’occasion de poursuites intentées à l’encontre de la journaliste Natacha Polony.

Ce délit a été introduit, par la loi du 27 janvier 2017 dite « Égalité et citoyenneté », au sein de l’article 24 bis alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et vise à sanctionner « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière […] l’existence d’un crime de génocide autre [que la Shoah] » lorsque « ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ».

Natacha Polony avait été la première personne poursuivie sur ce fondement par plusieurs associations, dont Ibuka France, pour des propos tenus sur France Inter en 2018. Dans une émission diffusée en direct, « Le grand face à face », la journaliste était invitée à débattre de l’actualité avec l’essayiste Raphaël Glucksmann. Une partie de l’émission était consacrée à la publication récente de documents faisant état du soutien de la France aux génocidaires rwandais en 1994. Natacha Polony avait alors déclaré : « Je pense en effet qu’il est nécessaire d’essayer de regarder en face ce qui s’est passé à ce moment-là et qui n’a rien finalement d’une distinction entre des méchants et des gentils. Malheureusement on est typiquement dans le genre de cas où euh on avait euh j’allais dire des salauds face à d’autres salauds ».

Les parties civiles reprochaient alors à la journaliste d’établir une confusion entre les bourreaux et les victimes Tutsis et d’avoir ainsi minoré l’existence du génocide. Renvoyée devant la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris, Natacha Polony avait été relaxée, les juges retenant notamment que « de ses paroles ne ressort pas une contestation de l’existence du génocide, même au moyen d’une minoration outrancière de la souffrance et la qualité des victimes, une telle interprétation résultant d’une extrapolation des propos en cause ».

Malgré la relaxe, devenue définitive, de Natacha Polony, les associations parties civiles avaient interjeté appel sur les intérêts civils. Il appartenait donc à la Cour d’appel de Paris de rechercher si Natacha Polony avait pu commettre une faute civile à raison des propos litigieux.

Dans son arrêt, la Cour rappelle à titre liminaire que le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 a donné lieu à des condamnations prononcées par une juridiction internationale. Ainsi, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de son existence entre bien dans les prévisions des dispositions de l’article 24 bis alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881.

Pour confirmer la décision de la 17ème chambre correctionnelle parisienne, la Cour d’appel de Paris retient que les propos poursuivis ne caractérisaient pas une contestation du génocide rwandais pour deux raisons.

  • En premier lieu, la Cour d’appel relève que Natacha Polony n’a nullement contesté l’existence d’un génocide dès lors que la journaliste a immédiatement après les propos poursuivis affirmé que « Oui bien sûr ! Il y a eu un génocide » avant d’ajouter que la situation est « consternante et effarante » et qu’il ne s’agit « absolument pas » de « remettre en cause le génocide ».
  • En second lieu, l’arrêt retient que les expressions « salauds face à d’autres salauds » et « il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants dans cette histoire » ne caractérisent pas une volonté de Natacha Polony de banaliser de façon outrancière le génocide Tutsi. En effet, même si la Cour admet que ces paroles peuvent être difficilement ressenties par certaines victimes du génocide, elle juge néanmoins que Natacha Polony n’a pas été en mesure de développer son argumentation et d’expliquer ses propos dans la mesure où elle avait systématiquement été interrompue par son contradicteur, Raphaël Glucksmann.

Dans ces conditions, la Cour d’appel de Paris a jugé qu’aucune faute civile ne peut être reprochée à Natacha Polony et a ainsi confirmé la décision rendue en première instance.

Le jugement de la 17ème chambre, couplé à l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel de Paris, offrent donc à la jurisprudence une première interprétation de l’article 24 bis alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 s’agissant du délit de contestation des génocides autres que la Shoah. Cohérentes avec la jurisprudence rendue sur le fondement de la loi Gayssot, ces décisions rappellent ainsi la nécessité de prendre en compte le contexte dans lequel les propos sont tenus et l’intention de vouloir véritablement, au-delà des maladresses de langage et des susceptibilités des parties civiles, remettre en cause l’existence de la réalité historique et juridique d’un génocide.

 

Octave NITKOWSKI

Avocat à la Cour

Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)

 

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