En septembre 2021, Paris Match publiait un article évoquant la relation sentimentale entre Eric Zemmour et Sarah Knafo, sa jeune conseillère chargée de diriger la campagne du futur candidat à la présidentielle. L’article, paru lors de la tournée promotionnelle d’Eric Zemmour pour la sortie de son livre La France n’a pas dit son dernier mot, était accompagné de photographies les représentant notamment enlacés en bord de mer.
Estimant cette publication attentatoire à son droit au respect de sa vie privée et à son image, Eric Zemmour a assigné la société éditrice de Paris Match, la SAS Lagardère Media News, devant le Tribunal judiciaire de Nanterre sur le fondement des dispositions des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Le Tribunal note d’abord que « Bien que ni la Une ni l’article ne révèlent explicitement l’existence d’une relation sentimentale entre monsieur Eric Zemmour et madame Sarah Knafo, et que le premier n’oppose qu’une divulgation par insinuation alors que l’organe de presse peut, dans le cadre de l’exercice de sa liberté d’expression, jouer sur la polysémie et les subtilités de la langue pour favoriser
l’acte d’achat, tant que le doute demeure, la certitude du sens bornant la liberté de la ligne éditoriale qui se déploie dans l’ambiguïté, le principe des atteintes n’est pas contesté par la SAS Lagardère Media News » et réside :
Si Paris-Match ne contestait donc pas le principe de ces atteintes, elle les justifiaient néanmoins par « l’exercice de sa liberté d’expression» au motif que l’évocation, fondée sur des éléments objectifs et publics, de la relation, désormais officialisée, qu’entretiennent Eric Zemmour et Sarah Knafo -celui-là étant entré en politique à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022 et celle-ci, grande inspiratrice de sa campagne, étant ainsi susceptible de devenir première dame, cette situation n’étant de surcroît pas conforme à la vision traditionnaliste de la famille que défend Eric Zemmour- relève du traitement d’un débat d’intérêt général.
Avant de se prononcer, le Tribunal s’est d’abord attaché a rappelé les principes dégagées en la matière par la jurisprudence de la CEDH, et singulièrement a rappelé :
Le Tribunal a également rappelé que dans son arrêt Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c./Finlande du 27 juin 2017 (§171), la CEDH a jugé qu’ont trait à un intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité, et que, tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé.
Dans la mise en balance des droits en présence et faisant application des principes dégagés par la jurisprudence européenne, le Tribunal a relevé que :
Ainsi, le Tribunal en conclut qu’il était « acquis que monsieur Eric Zemmour, au jour de la publication litigieuse, était un candidat certes non officiel mais certain à l’élection présidentielle française de 2022 ».
Dans ces conditions, le Tribunal a jugé qu’étant donné « la ligne tenue par ce dernier qui défend les valeurs familiales les plus traditionnelles » il était « évident que relèvent du traitement d’un débat d’intérêt général relatif notamment à la cohérence entre les idées défendues et le mode de vie adopté » l’existence de la relation adultérine de ce candidat avec sa conseillère, susceptible à ce titre de devenir première dame. Cette situation n’étant de surcroît pas conforme à la vision traditionaliste de la famille défendu par le polémiste.
Le Tribunal a par ailleurs relevé que l’article était pour l’essentiel consacré au portrait de Sarah Knafo et son rôle majeur dans la direction de la campagne d’Eric Zemmour et qu’ainsi leur proximité intellectuelle puis sentimentale était dès lors utile pour le lecteur « à la pleine compréhension de son programme, de sa cohérence et, le cas échéant, de sa sincérité ainsi que de l’origine de ses idées ».
Au vu de ce qui précède, le Tribunal a retenu que la publication « s’inscrit pleinement dans un débat d’intérêt général actuel à la date de sa parution » et que compte tenu de l’enjeu électoral en France toute contribution à ce débat bénéficiait de ce fait « d’un haut degré de protection ».
Pour finir, le Tribunal a souligné que face à cette liberté d’expression jouissant d’une protection très élevée, les atteintes à la vie privée d’ Eric Zemmour, si elles étaient intrinsèquement sérieuses, perdaient en gravité subjective, à raison du contexte et du comportement du polémiste qui a notamment débuté sa campagne avant sa candidature alors qu’il ne pouvait ignorer que sa vie privée serait scrutée par les médias et le public et qu’il a officialisé sa relation moins de 4 mois après la publication de l’article.
Dans ces circonstances, pour le Tribunal, les atteintes à sa vie privée ne pouvaient prévaloir sur la liberté d’expression.
Ce même raisonnement a conduit le Tribunal a exclure toute atteinte au droit à l’image d’Eric Zemmour : le Tribunal, bien qu’ayant relevé que les photographies de plage présentaient un lien plus ténu avec le débat d’intérêt général, considèrent qu’elles « constituent néanmoins un éclairage adéquat et utile pour le lecteur qui pouvait grâce à elles mieux se représenter la proximité évoquée par l’article entre monsieur Eric Zemmour et celle qui est décrite comme sa spin doctor » et qu’il n’était pas prétendu qu’elles portaient atteinte à sa dignité.
En conséquence, Eric Zemmour est intégralement débouté de ses demandes.
Gageons que ce dernier va faire appel de cette décision.
(TJ Nanterre, 21 novembre 2022, RG 21/08982)
Aurélie Brégou
Avocat à la Cour
Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)