Les propos d’Eric Zemmour donnent lieu à une interprétation divergente des éléments constitutifs du délit de contestation de crime contre l’humanité
Interpellé en ces termes “vous avez dit un jour une chose terrible, dans une autre émission, vous avez osé dire que Pétain avait sauvé les juifs”, Eric Zemmour avait répondu qu’il s’agissait de juifs “français” en ajoutant “c’est encore une fois le réel”.
La Cour d’appel de Paris avait confirmé le jugement de relaxe de la 17ème Chambre du Tribunal judiciaire de Paris au motif que le délit de “contestation de crime contre l’humanité” prévu à l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 n’était pas constitué, mais sans reprendre pour autant la motivation dudit jugement.
Le 4 septembre 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé cet arrêt.
En premier lieu, elle rappelle qu’”il est indifférent que” le maréchal Pétain “n’ait pas été condamné pour un ou plusieurs crimes tels qu’ils sont définis à l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945” .
Ainsi, pour la Cour “il suffit que les personnes ainsi désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers” (cf. Crim. 24 mars 2020, n° 19-80.783).
Il est certain que prétendre le contraire reviendrait à ce que le champ d’application de l’infraction soit réduit à “peau de chagrin”.
Puis la Cour remet en cause l’appréciation du sens et de la portée des propos, puisqu’elle retient que les juges du fond “n’ont pas procédé à l’analyse exhaustive des propos poursuivis. En effet, alors qu’à la fin de l’échange, son interlocuteur affirmait “ou avait sauvé les juifs français, c’est une monstruosité, c’est du révisionnisme”, le prévenu a répliqué “c’est encore une fois le réel”, reprenant ainsi à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés selon lesquels” le maréchal Pétain “avait “sauvé les juifs français”.
Egalement, la Cour reproche à l’arrêt d’appel une insuffisance de motivation en retenant que les juges du fond “ne pouvaient, sans mieux s’expliquer, retenir, au terme de leur examen des éléments extrinsèques invoqués en défense, en quoi cette affirmation devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés que M. [B] aurait exprimés antérieurement”.
La Cour suit ainsi les réquisitions détaillées et – assez sévères – de l’Avocat Général qui a, en particulier, considéré que “si la cour d’appel, comme elle était invitée à le faire par certaines parties civiles, s’était livrée à l’analyse des éléments extrinsèques aux seuls propos en cause, ne fût-ce qu’en les remettant en perspective avec ceux publiés dans “Le suicide français” et avec les déclarations antérieures du prévenu sur le même sujet, elle aurait ainsi été en mesure de donner à ceux-ci leur véritable sens qu’une lecture littérale de ces derniers ne lui a pas permis de saisir”.
Les juges du fond avaient retenu que les propos en cause font “référence à une opinion défendue par” leur auteur tant à l’écrit qu’à l’oral et qu’“ils n’ont pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration”.
La Cour de cassation a manifestement une position totalement divergente sur l’appréciation qui devait être faite des éléments extrinsèques des propos en cause, rappelant ainsi l’importance de l’analyse et de l’interprétation des tels éléments dans les contentieux en droit de la presse.
Enfin, il sera relevé que cet arrêt est intéressant tant par le raisonnement de la Cour de cassation que par les différents moyens des associations qui s’étaient pourvues en cassation, dont celui selon lequel la contestation de crimes contre l’humanité peut être faite sous forme d’insinuation (déjà rappelé par : Crim. 29 janv. 1998, n° 96-82.731, Crim. 12 sept. 2000, n° 98-88.200; Crim. 19 octobre 2021, n°20-84.127).
Florent DESARNAUTS
Avocat au barreau de Paris
Membre du Conseil scientifique AAPDP
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