Dans son arrêt rendu le 10 septembre 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur cette question en rappelant, qu’en matière d’injures publiques, le contexte d’une campagne électorale peut renforcer la liberté d’expression d’un opposant politique[1].
En l’espèce, le maire Rassemblement national d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, avait porté plainte avec constitution de partie civile du chef d’injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public à l’encontre de David Noël, un ancien conseiller municipal communiste de la ville. Celui-ci avait relayé sur sa page Facebook un article de Libération relatif à la crise du personnel municipal en indiquant : « A douze ans d’intervalle, ce sont les mêmes méthodes. Les héninois ont échangé un autocrate corrompu pour un autocrate raciste au comportement de patron-voyou harceleur avec Ies agents. »
Si le Tribunal correctionnel de Béthune avait déclaré David Noël coupable d’injures publiques envers un citoyen chargé d’un mandat public, la Cour d’appel de Douai avait infirmé cette décision et relaxé le prévenu.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Steeve Briois en rappelant l’importance de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui implique de tenir compte du contexte dans lequel les propos ont été tenus et d’apprécier la liberté d’expression de manière plus souple dès lors que les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général.
Ainsi, pour confirmer l’arrêt de la Cour d’appel, la Cour de cassation retient que David Noël se présente sur sa page Facebook comme un « militant du parti communiste et syndicaliste » et que les propos ont été tenus dans le contexte spécifique de la campagne électorale municipale de 2020. À cet égard, la Cour de cassation considère qu’il n’importe pas que David Noël ne fût pas lui-même candidat à ces élections.
Au-delà du contexte de la campagne électorale, la Cour de cassation retient le fait que les propos exprimaient l’opinion critique d’un opposant politique sur un sujet d’intérêt général relatif au comportement du maire vis-à-vis des agents de la municipalité dans le cadre de l’exercice de son mandat.
L’expression « autocrate raciste au comportement de patron-voyou harceleur » est ainsi interprétée comme une critique politique de la gestion autoritaire de Steeve Briois, et non comme une injure personnelle sans fondement cherchant à l’atteindre dans sa dignité.
En utilisant cette méthode d’analyse, la Cour de cassation tend à accorder, en matière d’injures, la même importance au contexte que dans l’appréciation de la bonne foi s’agissant du délit de diffamation.
La bonne foi avait d’ailleurs permis à une autre opposante politique d’Hénin-Beaumont, Marine Tondelier, d’être relaxée du délit de diffamation pour des propos mettant eux aussi en cause Steeve Briois sur ses rapports avec les employés municipaux[2].
Cet arrêt s’inscrit ainsi dans une longue tradition jurisprudentielle qui tend à accorder, en matière d’injure comme de diffamation, une plus large protection aux discours qui s’inscrivent dans une polémique politique[3].
En revanche, jusqu’alors, le contexte électoral n’était pas de nature à faire disparaître systématiquement la dimension injurieuse de propos[4], notamment lorsque ceux-ci étaient gravement outrageants[5].
Avec cet arrêt, la Cour de cassation renforce davantage encore la liberté d’expression dans le contexte électoral, et ce, même si les propos sont reconnus comme « outrageants à l’égard de la partie civile ».
Alors que la Cour de cassation avait pour habitude de rappeler qu’en matière d’injure dans un contexte politique, seuls des « motifs impérieux » pouvaient restreindre la liberté d’expression[6], cette limite n’est plus posée dans l’arrêt d’espèce.
Le degré d’outrance est donc désormais indifférent dès lors qu’il est établi que les propos visaient une idéologie ou une fonction et qu’ils s’inscrivaient dans une dimension politique.
Dans ce contexte, les abus de la liberté d’expression sur le fondement de l’article 33 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, qui réprime l’injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, auront nécessairement tendance à s’amenuiser.
En effet, il n’y a injure envers les élus qu’autant que les expressions outrageantes caractérisent des actes se rattachant à leur fonction[7]. Ainsi, si une injure envers un élu est constituée par l’atteinte portée à sa fonction publique, le contexte est nécessairement politique. Or, ce contexte est précisément de nature à permettre une liberté d’expression plus importante.
Dans ces conditions, l’article 33 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 n’aurait plus vocation qu’à s’appliquer que dans le cas de violences verbales envers les élus, sans aucun lien avec un quelconque débat politique.
C’est sans doute ainsi que doit s’interpréter l’introduction, par la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, de la peine de travail d’intérêt général comme sanction supplémentaire au sein de l’article 33 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.
En tout état de cause, la protection accordée par la Cour de cassation aux critiques adressées à des figures politiques dans un contexte électoral vient contredire les volontés de certains parlementaires qui avaient souhaité, au début de l’année 2024, allonger la prescription trimestrielle à un an s’agissant des délits de presse visant les élus et candidats à des élections.
En privilégiant la liberté d’expression, cet arrêt de la Cour de cassation participe d’un nouvel équilibre juridique qui, sans nier la nécessité de protéger les élus, consacre l’idée que, dans un régime démocratique, la tolérance à l’égard des discours politiques, aussi virulents soient-ils, est primordiale pour le bon fonctionnement du débat public.
Octave NITKOWSKI
Avocat à la Cour
Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)
L’AAPDP regroupe des avocats de sensibilités diverses. Les actualités publiées sur le site et signées d’un membre de l’association n’engagent que leurs signataires et ne traduisent en aucune façon la position de l’association elle-même ou de l’un de ses organes.
[1] Cass. Crim., 10 septembre 2024, n°23-83.666
[2] TJ Paris, 17ème ch., 6 novembre 2020, Steeve B. et a. c/ Marine T.
[3] Cass. Crim., 9 décembre 2014, n°13.85.401 ; Cass. Crim., 7 mai 2019, n°18-82.437
[4] Cass. Crim., 20 octobre 1992, n°91-84.253
[5] Cass. Crim., 30 mars 2005, n°04-85.709 ; CA Paris, 18 septembre 2019, n°18/06670
[6] Cass. Crim., 9 décembre 2014, n°13.85.401 ; Cass. Crim., 8 janvier 2019, n°17-81.396
[7] Cass. Crim., 15 janvier 2008, n°06-89.189 ; Cass. Crim., 7 juin 2017, n°16-85 ?574