L’importance du contexte de propos outranciers, les rendant condamnables ou pas en cas de satire
“La bataille de Patay”, enluminure ornant La Cronicque du temps de tres chrestien roy Charles, septisme de ce nom, roy de France par Jean Chartier, Paris, BnF, fin du xve siècle
Dans le cadre d’un conflit relatif à l’usage d’un chemin communal entre un exploitant agricole et son voisin anglais, un maire de village a fait l’objet de vives critiques de la part de l’un de ses administrés relayés par un influenceur d’extrême-droite dans une vidéo en ligne.
Plusieurs propos étaient poursuivis par le maire sur différents fondements de la loi du 29 juillet 1881 – avec plus ou moins de succès – aux termes d’un jugement du 24 avril 2024.
1. En premier lieu, ce jugement rappelle combien il est difficile en pratique de caractériser le délit de provocation publique à la haine à raison de l’origine.
Les propos en cause faisaient référence aux anglais venus guerroyer en France durant la guerre de Cent Ans, pour évoquer la présence du résidant anglais qui imposerait sa loi en ne permettant plus l’usage du chemin communal. Ils affirmaient également qu’en Occitanie, les anglais « c’est du gibier ».
Le Tribunal estime que si les propos stigmatisent le comportement des anglais qui s’installent en France, pour autant il n’en ressort pas une incitation à la haine contre les Anglais dans leur ensemble.
De plus, le Tribunal prend en compte « la dimension satirique » des propos « excluant de surcroît qu’une exhortation à commettre des actes de violences puisse être décelée dans l’usage des métaphores », qui pour autant lui paraissent « regrettables » et témoignant « d’une grande intolérance ».
2.Les mêmes propos étaient poursuivis du chef d’injure publique envers un groupe de personnes en raison de son origine.
Le Tribunal ne condamne pas plus sur ce fondement au motif qu’« en comparant les Anglais à du gibier, le prévenu se montre grossier sans pour autant dépasser les limites de la liberté d’expression, dans le cadre d’une vidéo dont la dimension humoristique est entretenue par l’auteur, empêchant ainsi à l’auditeur d’interpréter ces termes au premier degré ».
3.D’autres propos étaient poursuivis et cette fois-ci condamnés sur le fondement de l’injure publique envers une personne à raison de son orientation sexuelle.
Ces propos étaient très critiques à l’égard de l’administration mais doublés d’un discours homophobe, l’homosexualité étant « identifiée à une dégradation des mœurs, à l’instar d’un délitement et d’une faiblesse de la structure étatique républicaine, en opposition à la virilité caractérisant l’Ancien Régime ». Surtout ces propos visaient le maire.
Le Tribunal a retenu que ces propos étaient injurieux à l’égard du maire « à raison de l’orientation sexuelle supposée de ce dernier ».
4.Enfin, d’autres propos étaient poursuivis du chef de provocation publique à commettre des infractions d’atteinte volontaire à l’intégrité d’une personne.
D’une part, des propos évoquaient à nouveau le temps médiéval où les « déviants » étaient exécutés par « Bûcher, écartèlement, pendaison, décapitation catapultage » tout en visant le maire.
Le Tribunal a retenu le délit constitué à l’égard du maire « à raison de son orientation sexuelle supposée » .
D’autre part, étaient poursuivis des propos tenus lors d’une séquence dans laquelle apparaissait un homme déguisé en fouine, malmené, dont l’apparence se voulait une métaphore des autorités publiques et du maire que l’auteur présentait comme corrompus.
Le Tribunal n’a pas considéré le délit constitué au motif que « le contraste ainsi créé entre, d’une part la bonhomie des personnages apparaissant dans la vidéo, d’autre part la violence et la grossièreté des propos ainsi que la vulgarité des gestes (…) amène nécessairement l’internaute à prendre une certaine distance avec le discours dont le caractère grotesque ne lui échappe pas » avant de conclure que « face à un propos si excessif et burlesque il ne peut ainsi être déduit de la mise en scène des sévices infligés à la peluche en forme de fouine, une incitation directe à commettre des actes de violence à l’encontre du maire ».
Florent DESARNAUTS
Avocat au barreau de Paris
Membre du Conseil scientifique AAPDP
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