Perquisitions chez Mediapart
L’État condamné – le secret des sources réaffirmé
Dans un long jugement du 6 juillet 2022, le Tribunal judiciaire de Nanterre a condamné l’Agent judiciaire de l’État pour les perquisitions menées, au siège de Mediapart, le 4 février 2019 (Tribunal judiciaire de Nanterre, Pôle civil 1ère chambre, 6 juillet 2022, n°20/01194). Ce jugement sévère à l’égard du Parquet de Paris s’avère particulièrement instructif en ce qu’il revient notamment sur la qualification de l’acte d’enquête mené au siège de Mediapart et l’existence d’un préjudice subi par cette société d’édition.
L’affaire a pour point de départ la publication d’un article intitulé « affaire Macron-Benalla : les enregistrements qui changent tout » comportant six extraits de conversation privés.
À la suite de cet article, le Parquet de Paris a ouvert sur signalement du directeur de cabinet du Premier Ministre, une enquête des chefs d’atteinte à l’intimité de la vie privée et détention illicite d’appareils ou dispositifs techniques permettant l’interception de télécommunications ou conversation sur le fondement des articles 226-1, 226-2 et 226-3 du Code pénal.
C’est dans ce cadre que le 4 février 2019, les journalistes de Mediapart ont eu la désagréable surprise de recevoir la visite de deux procureurs adjoints et de trois officiers de police judiciaire avec mission d’« obtenir les enregistrements correspondant à la conversation de Monsieur Alexandre Benalla et Monsieur Vincent Crase, aux fins de vérifier le contenu et d’identifier les moyens utilisés pour cette interception ».
Un refus avait alors été opposé à ce transport et aucun élément n’avait été saisi, les policiers et magistrats n’ayant pu pénétrer au siège de Mediapart que pour y signer le procès-verbal de carence.
S’estimant victime d’une manœuvre visant notamment à porter atteinte au secret de ces sources, Mediapart a assigné l’Agent judiciaire de l’État afin d’engager sa responsabilité sans faute, dont le régime est une création prétorienne du juge administratif (Conseil d’État, Cames, 21 juin 1895) transposée ensuite dans la jurisprudence judiciaire (Civ 24 novembre 1965 ; Civ 1ère 10 juin 1986, n°84-15.740 ; Civ 1ère 30 janvier 1996, n°91-20.266).
Pour contester le bien-fondé de cette action, l’Agent judiciaire de l’État soulevait audacieusement que la présence des procureurs adjoints au siège de Mediapart, ne constituait pas une perquisition mais une simple « réquisition », ces derniers ne disposant pas d’une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention pour effectuer une telle mesure.
Sans surprise, le Tribunal judiciaire de Nanterre a écarté cet argument – pour retenir l’existence d’une perquisition – en s’appuyant notamment sur plusieurs critères :
- L’impossible requalification rétrospective de la mesure de perquisition
Le Tribunal considère justement que « le fait pour les autorités présentes devant les locaux de la société Mediapart n’aient pu pénétrer, sauf pour éventuellement signer un procès-verbal, ni fouiller les lieux n’est pas décisif si le but du transport était le recueil d’une information ou d’un document conservé sur place. L’échec d’une telle mesure n’en fait pas un non-évènement et ne permet pas sa requalification rétrospective ».
Il conclut en soulignant sur ce critère qu’« il n’est pas abusif d’évoquer une tentative de perquisition si la mesure a été infructueuse ou avortée faute d’accord ».
- L’indication par l’Agent judiciaire de l’État d’une démarche fondée sur les articles 56-2 et 76 du Code de procédure pénale, textes qui renvoient directement aux perquisitions ;
- Le courrier du Procureur de la République du 24 décembre 2020 versé à la procédure et qui indiquait qu’il s’agissait d’un « transport dans les locaux de Mediapart avait pour but de saisir, avec son assentiment l’enregistrement litigieux » et donc la définition même d’une perquisition pour le Tribunal ;
- L’effet disproportionné d’une visite domiciliaire auquel « un simple courriel, moins couteux en temps et en personnel et assurément moins ambivalent suffisait à atteindre l’objectif annoncé » ;
- Ou encore, l’effet d’intimidation ressenti « qui renvoie à la possibilité d’une coercition bien plus caractéristique de la perquisition que de la réquisition ».
Le Tribunal retient, qu’au surplus, cette mesure n’avait pas pour seul objectif d’obtenir copie des enregistrements litigieux mais de vérifier également leur authenticité et leur captation et donc par voie de conséquence d’identifier les sources de cette communication.
Cette mesure est jugée comme n’étant ni nécessaire puisque l’envoi d’une réquisition par mail aurait suffi, ni proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 imposant la démonstration d’un « impératif prépondérant d’intérêt public » pour la mise en œuvre d’une telle perquisition.
En conséquence, et en présence d’un préjudice anormal, spécial et grave de Mediapart généré en partie par la crainte d’une atteinte à son secret des sources « susceptible de porter un coup sévère à son activité », le Tribunal judiciaire de Nanterre a condamné l’État.
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Cette décision très instructive rappelle l’impératif de protection des sources journalistiques auquel il n’est possible de porter atteinte que dans les cas les plus graves. Cette jurisprudence constante impose ainsi aux juges de procéder à une appréciation in concreto pour déterminer si une telle mesure est nécessaire et proportionnée au regard du but poursuivi à savoir « l’impératif prépondérant d’intérêt public » (Crim 30 octobre 2006 ; n°06-85.693 ; Crim 4 décembre 2007, n°07-86.086 ou encore Crim 25 février 2014, n°13-84.761), codifié en 2010 à l’alinéa 3 de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.
Pierre- Eugène BURGHARDT
Avocat au barreau de Paris
Membre du Conseil scientifique AAPDP