Quand le droit à l’information sur les méfaits d’une personnalité l’emporte sur le respect de l’intimité de la vie privée d’une de ses victimes

Le 07 février 2023 le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance (RG 23/51366) relative à une demande de suppression de passages de l’ouvrage intitulé « PPDA Le Prince Noir » sur le point de sortir en librairie.

L’ouvrage est une enquête journalistique consacrée à une personnalité évoquant notamment sa vie privée et donc nécessairement celle de ceux qui l’ont côtoyée.

En l’occurrence, sont divulgués des éléments relevant de l’intimité de la vie privée des victimes de la personnalité, telles que la description circonstanciée des violsqu’elles ont subi.

Deux jours avant la sortie de l’ouvrage une des victimes a été autorisée à assigner l’auteur et l’éditeur du livre en vue de l’audience du lendemain même, afin de solliciter la suppression de certains passages de l’ouvrage la concernant.

Il est assez rare que ce type de procédure soit initiée et autorisée avant la sortie de l’ouvrage, d’autant que ses chances de succès sont assez maigres puisque le juge des référés considère en général que la publication doit constituer « une atteinte intolérable ou une intrusion injustifiée dans l’intimité de la vie privée » et que cette publication doit causer un dommage « irréversible ou irréparable par l’allocation ultérieure de dommages-intérêts »[1].

L’ouvrage en cause comportait des éléments circonstanciés jamais révélés publiquement par la demanderesse mais qu’elle avait notamment évoqués lors d’une audition menée dans le cadre de l’enquête préliminaire visant le présentateur.

Pour débouter la demanderesse de sa demande de suppression des passages de l’ouvrage la concernant, le juge des référés rappelle en premier lieu et classiquement la nécessaire conciliation à faire entre le droit à la vie privée et le droit à la liberté d’expression, d’égale valeur normative.

Puis, il insiste sur le fait que l’ouvrage traitait d’un sujet d’actualité relevant de l’intérêt général « majeur » soit des révélations sur la commission de multiples faits d’agressions sexuelles et de viols, l’émoi qu’elles ont suscité dans le public en plus de la création d’un mouvement « #metoomedia » ou encore le fait que l’auteur de l’ouvrage avait antérieurement réalisé un reportage télévisé sur ce sujet.

Le juge prend également en compte la forme de l’ouvrage qui se veut une enquête comportant en particulier la description d’un mode opératoire visant à agresser et violer les femmes, nommé le glaçant « cérémonial du 20 heures ».

Tout en reconnaissant « le caractère douloureux de l’évocation publique de l’agression subie pour la demanderesse », le juge insiste sur le fait qu’elle a elle-même rendu public les faits de viol dont elle a été victime dans des médias nationaux « de sorte que l’impact lié à la divulgation des circonstances de leur commission, si sordides qu’ils soient, doit nécessairement être relativisé ».

C’est dans ces circonstances bien particulières que le droit à l’information l’emporte sur celui de la vie privée, quand bien même les éléments révélés sans autorisation de l’intéressée appartiennent à la sphère la plus intime.

La demanderesse a ainsi été déboutée de ses demandes, sans pour autant être condamnée à verser une somme au titre de l’article 700 du Code civil.

L’on peut raisonnablement penser, au-delà du fait que la demanderesse avait exposé médiatiquement certains faits, que la nature du l’ouvrage a fait pencher la balance du juge du côté de la liberté d’expression et qu’il en aurait été différemment pour une œuvre de fiction[2] ou une œuvre autobiographique[3].

Florent DESARNAUTS
Avocat au barreau de Paris
Membre du Conseil scientifique AAPDP

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[1]TJ Paris, réf., 31 janv. 2020, RG 20/50726 ; TJ Paris, réf., 10 juin 2020, RG 20/53343

[2] Cass. Civ. 1ère, 30 septembre 2015, n°14-1627

[3] TGI Paris, réf., 26 février 2013, RG 13/51631

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