Secret des sources et nullités de l’information judiciaire

 

Examen d’une QPC le 18 octobre 2022 par le Conseil Constitutionnel

 

 

Une journaliste, qui préparait un documentaire au sujet d’un détenu s’étant évadé d’un centre pénitentiaire, a appris, à la lecture d’un article de presse, que des actes de l’information judiciaire ouverte des faits de préparation et de réalisation de l’évasion en question, l’auraient visée et, notamment, qu’elle aurait été suivie par les enquêteurs, espérant localiser leur cible.

La journaliste s’est constituée partie civile afin d’avoir accès au dossier et ainsi pouvoir découvrir l’étendue des éventuelles mesures de surveillance prises à son encontre. Sa constitution de partie civile a été déclarée irrecevable. Un pourvoi en cassation est en cours (n°22-80.886). Une requête en nullité a parallèlement été déposée et a, également, été déclarée irrecevable, dans la mesure où la requérante n’est ni partie à la procédure, ni témoin assisté, au sens de l’article 170 du code de procédure pénale.

Dans le cadre du pourvoi en cassation formé dans le volet requête en nullités (n°22-80.887), la journaliste a déposé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 60-1 alinéa 3, 100-5 alinéa 4, 170, 171 et 173 du code de procédure pénale en ce qu’ils ne permettent pas à un journaliste, tiers à la procédure, qui ne bénéficie pas de la qualité de partie civile, de mis en examen, ou de témoin assisté, de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité d’actes de l’instruction réalisés en méconnaissance de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et portent ainsi atteinte au droit à un recours effectif, au droit à la liberté d’expression, au droit au respect de la vie privée et au principe d’égalité garantis par les articles 1, 2, 6, 11 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Pour mémoire, les articles 60-1 alinéa 3 et 100-5 alinéa 4 du code de procédure pénale prévoient pourtant expressément des causes de nullité tirées de la violation du secret des sources: ils interdisent, à peine de nullité, le versement au dossier d’éléments obtenus par une réquisition ou la transcription des correspondances avec un journaliste, lorsqu’ils permettent d’identifier une source en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Par arrêt du 27 juillet 2022, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a estimé que la question posée présentait un caractère sérieux, « en ce que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne permettent au journaliste, tiers à la procédure, de faire constater par une juridiction le caractère illégal des actes d’investigations réalisés en violation du secret des sources et d’ordonner la suppression des procès-verbaux les relatant ».

La Cour relève que la faculté des tiers d’agir en indemnisation devant la juridiction civile, en application de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, est insuffisante, précisant qu’un « tel recours ne permet cependant pas la suppression en procédure des actes litigieux ».

La Cour relève enfin qu’en vertu de l’article 6-1 du code de procédure pénale, un journaliste ne peut porter plainte et se constituer partie civile du chef de collecte illicite de données personnelles que si, préalablement, la chambre de l’instruction a constaté, par une décision définitive, l’illégalité des investigations, et de préciser que le journaliste ne pourra jamais exercer une telle action si, précisément, la chambre de l’instruction n’a pas été saisie d’une telle nullité.

L’audience devant le Conseil Constitutionnel aura lieu le 18 octobre 2022 à 9h30. Elle peut être visionnée en direct sur le site du Conseil Constitutionnel.

Comment trouver un juste équilibre entre, d’une part, le droit à un recours effectif, destiné à faire sanctionner une potentielle atteinte au secret des sources dans une hypothèse où l’acte d’enquête n’aurait pas été justifié par un « impératif prépondérant d’intérêt public » et, d’autre part, l’efficacité des procédures d’enquêtes criminelle ou correctionnelle, dans lesquelles un journaliste peut apparaitre de façon tout à fait incidente, sans qu’il n’ait été au préalable spécifiquement visé par une mesure d’enquête ?

Surtout, comment mettre en œuvre concrètement l’ouverture d’un tel droit à cette catégorie de tiers ?
Les enquêtes et informations judiciaires sont secrètes, seules les « parties » au sens du code de procédure pénale peuvent légalement avoir accès au dossier, alors que faire ? 

Donner un droit d’accès à une enquête aux tiers qui ont la qualité de journalistes ?

Notifier à ces derniers des mesures d’investigations qui les viseraient ?

Mais, dans ce cas, que faire s’ils n’apparaissent qu’incidemment et fortuitement, sans avoir été visés ab initio par un acte d’enquête ?
Donner communication a posteriori du contenu d’une enquête ou d’une commission rogatoire ?

Instaurer un tel droit au recours, sans fragiliser l’intégralité des procédures et sans abandonner la règle du secret de l’enquête et de l’instruction, apparaît un exercice d’équilibriste.

Enfin, n’est-il pas dangereux de faire un lien automatique, comme semble le faire l’arrêt du 27 juillet 2022, entre, d’une part, la commission de l’infraction de collecte illicite de données personnelles et, d’autre part, le constat de« l’illégalité des investigations » dans l’hypothèse où une réquisition viendrait à être annulée, ultérieurement, en raison d’une erreur d’appréciation d’un enquêteur ou d’un magistrat, quant à la caractérisation de « l’impératif prépondérant d’intérêt public » ? Doit-on admettre que l’acte juridictionnel ne souffre plus l’erreur d’appréciation lors-qu’est en cause une mesure pouvant porter atteinte directement ou indirectement au secret des sources ?

Cela fait beaucoup de questions à anticiper et à soupeser dans l’hypothèse où un accueil favorable serait réservé à la présente question prioritaire de constitutionnalité.

Marie CORNANGUER

Avocat à la Cour

Membre du conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)

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