Secret des sources du journaliste tiers à une information judiciaire : décision du Conseil constitutionnel
Par une décision rendue le 28 octobre 2022, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par la chambre criminelle de la Cour de cassation, a jugé conformes à la constitution les dispositions du Code de procédure pénale interdisant à un journaliste, tiers à une information judiciaire, de demander la nullité d’actes d’instruction violant le secret des sources (Décision n°2021-1021 QPC du 28 octobre 2022).
La protection du secret des sources journalistiques est prévue par l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, issu de la loi du 4 janvier 2010, qui dispose qu’« il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».
Le principe de la protection des sources des journalistes, consacré par la loi, n’est donc pas absolu puisque des mesures portant atteinte au secret des sources d’un journaliste peuvent être justifiées par un impératif prépondérant d’intérêt public dès lors qu’elles sont proportionnées et nécessaires au regard de cet impératif.
En l’espèce, une journaliste ayant enquêté sur l’évasion puis la cavale de Rédoine Faïd avait appris qu’elle aurait fait l’objet de mesures de surveillance dans le cadre d’une information judiciaire visant à localiser le fugitif.
La journaliste avait déposé une requête en nullité sur le fondement des articles 60-1 alinéa 3 et 100-5 alinéa 4 du Code de procédure pénale qui proscrivent, à peine de nullité, le versement au dossier pénal d’éléments obtenus par une réquisition prise en violation du secret des sources ainsi que la transcription des correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source.
Cette requête a été jugée irrecevable par la chambre de l’instruction au motif, conformément à l’article 173 du Code de procédure pénale et à la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, que la journaliste n’était pas partie à l’information judiciaire, ni témoin assisté.
Dans le cadre d’un pourvoi formé contre cet arrêt devant la Cour de cassation, la journaliste avait déposé une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que l’impossibilité faite aux journalistes tiers à une information judiciaire de présenter une requête en nullité d’un acte d’investigation accompli en violation du secret des sources violerait les principes constitutionnels du droit à un recours juridictionnel effectif, au respect de la vie privée et à la liberté d’expression.
Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi cette argumentation.
En effet, en premier lieu, le Conseil a jugé que l’impossibilité pour des journalistes tiers à la procédure de demander la nullité d’actes d’instruction ou de pièces versées au dossier était justifiée par la protection du secret de l’enquête et de l’instruction ainsi que par le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence.
Il a ensuite jugé que les journalistes tiers bénéficient de la possibilité d’engager des poursuites pénales, et d’obtenir in fine réparation du préjudice subi, dès lors que l’acte d’investigation accompli en violation du secret des sources est constitutif d’une infraction pénale ou, à tout le moins, dans l’hypothèse où la nullité de l’acte n’aurait pas été soulevée par les personnes habilitées par le Code de procédure pénale, d’invoquer l’irrégularité de cet acte à l’appui d’une demande tendant à engager la responsabilité de l’Etat du fait de cette violation.
En cherchant un équilibre entre la protection du secret de l’instruction et la présomption d’innocence, d’une part, et la protection du secret des sources journalistiques, d’autre part, le Conseil constitutionnel a écarté le grief selon lequel les dispositions du Code de procédure pénale méconnaitraient le droit à un recours juridictionnel effectif pour le journaliste.
Ce faisant, il a ainsi manqué l’occasion de renforcer le secret des sources des journalistes régulièrement mis à mal dans le cadre de procédures pénales.
En effet, les journalistes, victimes d’une violation du secret de leurs sources, ne pourront pas faire annuler les actes d’investigation.
En outre, l’on peut sérieusement s’interroger sur l’effectivité des voies de droit ouvertes aux journalistes tiers à la procédure dans l’hypothèse où un acte d’investigation serait accompli en violation du secret de leurs sources.
En effet, d’une part, la mise en mouvement par un journaliste de l’action publique suppose que l’acte accompli en violation du secret des sources soit constitutif d’une infraction pénale, ce qui ne sera pas systématiquement le cas, loin s’en faut.
En tout état de cause, une infraction ne pourra être constituée que si l’acte d’investigation ayant violé le secret des sources a été annulé par une décision définitive, ce qui suppose que le Juge d’instruction, le Procureur de la République, les parties à l’information ou un témoin assisté aient saisi la chambre de l’instruction aux fins d’annulation de cet acte.
D’autre part, les actions en responsabilité de l’Etat pourraient n’aboutir que difficilement dès lors que la question de la légalité des actes d’instruction n’aura pas été tranchée par la chambre de l’instruction.
Reste donc à espérer que les parties habilitées à demander l’annulation des actes d’instruction se saisissent de ce droit en demandant à la chambre de l’instruction d’annuler les actes ayant violé le secret des sources des journalistes.
A défaut, le droit des journalistes à la protection de leurs sources pourrait demeurer peu effectif.
La protection du secret des sources conditionne pourtant l’obtention d’informations par les journalistes et est ainsi nécessaire pour que le public puisse bénéficier d’une information de qualité.
En effet, ainsi que la Cour européenne des droits de l’Homme l’a justement souligné dans sa célèbre décision Goodwin c/ Royaume-Uni « l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des question d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie » (CEDH, 27 mars 1996, GOODWIN c/ Royaume-Uni, n°17488/90).
Les juridictions françaises ne paraissent pas, pour l’heure, en être convaincues.
Stéphanie ZAKS
Avocat à la Cour – Cabinet Zaks
Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)