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Diffusion d’une vidéo captée sans autorisation dans un lieu d’élevage d’animaux : mise en balance de la liberté d’expression et du droit de propriété

Focus sur l’arrêt Cass Civ 1ère 8 février 2023 – Pourvoi n°22-10.542

Un nouvel arrêt a été rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation à propos des vidéos frauduleuses dénonçant le mal-être animal.

Dans la lignée d’un précédent arrêt rendu dans une espèce très similaire (Cass Civ 1ère 2 février 2022 pourvoi 20-16.040), la Cour de cassation censure de nouveau les juges du fond qui n’ont pas procédé à la mise en balance des intérêts en présence, la liberté d’informer et le droit de propriété.

Une association de protection animale avait diffusé sur son site internet une vidéo prise à l’intérieur d’un bâtiment d’élevage d’animaux, après s’être s’introduite sans autorisation dans les locaux, afin de dénoncer leurs conditions d’élevage.

La société d’élevage a saisi le juge des référés afin d’obtenir le retrait de la vidéo en se fondant sur un trouble manifestement illicite constitué par la violation de son droit de propriété, de son domicile et le non-respect des prescriptions réglementaires en matière d’élevage.

S’agissant d’une atteinte à la liberté d’expression, le juge des référés a annulé l’assignation qui n’a pas visé les textes de la loi de 1881 sur la diffamation.

Mais la Cour d’appel a infirmé l’ordonnance de référé déclarant l’action de la société recevable, et a ordonné le retrait du film litigieux sur le fondement du trouble manifestement illicite invoqué. La Cour d’appel retient qu’en pénétrant frauduleusement dans l’enceinte de la société pour réaliser sa vidéo, l’association a porté atteinte à son droit de propriété et de domicile. Le droit à la liberté d’expression de l’association n’était pas incompatible avec le respect de ces droits, dès lors qu’elle dénonçait des conditions d’élevage conformes aux normes applicables qu’elle désapprouve et qu’elle disposait déjà d’images à ce sujet. Elle en déduit que l’association ne justifiait dès lors d’aucun motif légitime de nature à faire perdre au trouble invoqué son caractère manifestement illicite.

L’association de protection animale s’est pourvue en cassation et invoquait deux moyens.

Le premier moyen concernait la recevabilité de l’action qui, selon l’association, aurait dû être fondée sur les dispositions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, rappelant la règle classique selon laquelle « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi de 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil ».

La Cour de cassation écarte ce moyen tiré de la liberté d’expression et juge suffisante la qualification du trouble manifestement illicite invoqué, retenue par la Cour d’appel, alors que l’assignation ne se prévalait d’aucun fait de diffamation et que rien ne justifiait son application.

Il est vrai que la vidéo ne visait pas à dénoncer le comportement de la société d’élevage dont les pratiques d’élevage étaient conformes aux normes applicables, mais à désapprouver ces normes applicables.

En revanche, et c’est l’apport essentiel de l’arrêt, la Cour de cassation se fonde sur le principe de proportionnalité pour censurer la Cour d’appel qui n’a pas procédé à une mise en balance des droits en présence, entre la liberté d’expression de l’association et le droit de propriété de la société, tous les deux protégés par la Conv. EDH, l’article 10 de la CEDH et l’article 1er de son protocole additionnel n°1.

La Cour de cassation énumère précisément les critères d’appréciation du contrôle de proportionnalité dans une telle hypothèse, et s’inspire de la jurisprudence de la CEDH qu’elle cite expressément dans son arrêt.

Le juge national doit toujours procéder à une mise en balance des intérêts entre deux droits conventionnellement protégés, rechercher un équilibre des droits en concours et le cas échéant privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Les restrictions à la liberté d’expression doivent répondre à un besoin social impérieux, en particulier lorsqu’elles concernent un sujet d’intérêt général, tel que la protection des animaux.

Néanmoins, une association qui entend se prévaloir de la liberté d’expression au soutien de la cause animale doit comme les journalistes observer un comportement responsable et respecter la loi. Mais, si la violation de la loi constitue un motif pertinent dans l’appréciation de la légitimité d’une restriction, elle ne suffit pas en soi, à la justifier, le juge national devant toujours procéder à cette mise en balance des intérêts en présence.

En statuant ainsi, la Cour d’appel qui n’a pas procédé à la mise en balance des intérêts en présence a violé les textes susvisés.

La Cour de cassation fidèle à la jurisprudence européenne rappelle que l’article 10 laisse peu de place aux restrictions à la liberté d’expression concernant des sujets d’intérêt général.

Cet arrêt souligne également que le sujet de la maltraitance animale et de la production animale intensive participe de l’intérêt général, ce qui est favorable au combat des associations de protection animale.

Mais la Cour prend soin aussi de rappeler dans l’esprit de l’article 10 § 2 de la CEDH qu’une association qui entend se prévaloir de la liberté d’expression au soutien de la cause animale a les mêmes obligations qu’un journaliste, sans que leur manquement constitue un critère pour écarter la liberté d’expression.

On ne peut qu’approuver le rappel de ces principes et l’équilibre recherché.

 

Lien vers l’arrêt : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047128400?init=true&page=1&query=22-10.542&searchField=ALL&tab_selection=all

 

Clara Massis de Solere

Avocat au Barreau de Paris

Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse

L’AAPDP regroupe des avocats de sensibilités diverses. Les actualités publiées sur le site et signées d’un membre de l’association n’engagent que leurs signataires et ne traduisent en aucune façon la position de l’association elle-même ou de l’un de ses organes.

 

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